Le vrai du faux?

Publié le par Association EPSL

Le vrai du faux ?

Découverte de “ copies ” de silex taillés

dans la région du Grand-Pressigny. 

Joël GABILLEAU [1] et Jérôme PRIMAULT[2]

  

Avant-propos

Il existe depuis une vingtaine d’année au Grand-Pressigny, essentiellement au sein d’associations locales, une grande sensibilité au problème de protection du Patrimoine en général et des sites préhistoriques en particulier. Dès lors, une réflexion s’est engagée sur les moyens de cette protection, passant par la connaissance de ce Patrimoine et la sensibilisation du public à la fragilité des témoignages du Passé (Marquet, 1993).

Lors d’une prospection dans la vallée de la Creuse, entre Barrou et La Guerche (Indre-et-Loire), nous avons récolté sur une très petite surface un ensemble de 73 pièces lithiques taillées dont une partie sont des “ copies ” modernes plus ou moins adroites d’objets néolithiques. La présence, au sein de cet ensemble, d’objets marqués à l’encre blanche nous a laissé très perplexes quant au sens à donner à cette trouvaille.[...]

Cette récolte, qui pourrait paraître anecdotique, s’inscrit dans un ensemble de constats déjà anciens au Grand-Pressigny (Marquet, 1983 ; 1999) et dont certaines conséquences ont récemment été soulignées par J. Pelegrin (2002). De par nos fréquentes activités de prospection (autorisée par le Service Régional de l’Archéologie), cette trouvaille nous conduit à quelques interrogations sur les problèmes que pose la présence de ces “ copies ” sur les sites préhistoriques de la région du Grand-Pressigny.


Circonstances de la découverte et composition de la série de l’Aunaie :

Lors de travaux d’entretien des fossés qui drainent la plaine alluviale de la Creuse entre Barrou et La Guerche (Indre-et-Loire), durant l’hiver 2000, nous avons inspecté les coupes fraîches laissées par la pelle mécanique.

En sommet d’un fossé profond de près de deux mètres, au lieu-dit l’Aunaie (Barrou), nous avons ramassé quelques fragments de lames retouchées au pied d’une souche pourrie. Sous les mottes de terre accumulées autour de cette souche sont apparues d’autres pièces lithiques, toutes retouchées. Nous étions d’autant plus déterminés à examiner ce matériel que, sur l’autre rive du fossé, pratiquement en face, nous avions observé en coupe, à 80 centimètres de profondeur, un niveau à éclats frais et à nucléus “ livre de beurre ”.

Pourtant, il nous est très rapidement apparu que nous ramassions une collection déposée là “ récemment ” et comportant, entre autres, des “ copies ” d’objets lithiques préhistoriques. Nous avons alors tenté de nettoyer le secteur en collectant tout ce que nous trouvions autour de cette souche.

La série récoltée comprend  73 pièces (72 en silex du Turonien supérieur de la région du Grand-Pressigny et 1 en jaspe de Fontmaure) que nous avons regroupées en quatre ensembles :

-         Les pièces manifestement authentiques : il s’agit de 16 fragments de lames issues de la méthode de débitage “ livre de beurre ”. Neuf sont retouchés en poignard. Ces objets présentent tous un très léger émoussé témoignant de leur séjour dans les labours. De même, certains ont pris une teinte rouille assez marquée, souvent observée sur les silex bruns retrouvés dans la plaine alluviale de la Creuse. Signalons aussi un fragment proximal de petite lame en jaspe de Fontmaure. Deux des fragments de poignards présentent les vestiges d’un marquage illisible à l’encre blanche. 

-         Les pièces authentiques retouchées récemment : 30 pièces sont concernées. Il s’agit de 15 “ racloirs ” à retouche fraîche, abrupte, courte et irrégulière sur des éclats présentant un léger émoussé. Certains sont des éclats d’épannelage issus de la mise en forme de nucléus “ livre de beurre ”. Cinq “ perçoirs ” présentent une vague pointe aménagée sur des éclats anciens. Trois fragments de lames de nucléus “ livre de beurre ” comportent une retouche abrupte irrégulière, dans un cas cette retouche est inverse. Le reste comporte des éclats anciens à vague retouche bifaciale courte, abrupte et maladroite ainsi que deux “ limaces ” épaisses à retouche abrupte. Les nombreux points d’impacts visibles sur la face inférieure de certains de ces objets témoignent d’une certaine difficulté de la part du ou des tailleurs à obtenir les résultats escomptés. Huit de ces pièces présentent des vestiges d’un marquage illisible à l’encre blanche.

-         Les faux : il s’agit de 12 objets bifaciaux, copiant des haches ou des tranchets du Néolithique. Réalisées assez maladroitement par percussion directe à la pierre, ces copies sont supportées par de gros éclats corticaux pouvant être anciens. Les réfléchissements nombreux témoignent d’un savoir-faire assez médiocre, mais la forme globale de ces pièces, à “ base ” pointue et “ tranchant ” convexe, montre que le tailleur cherchait à imiter un modèle préhistorique. L’une de ces “ haches ” comporte sur le cortex une inscription à l’encre blanche partiellement lisible : “ Valon (?) de Roch Barrou (I et L) ”. Cela pourrait indiquer un nom de lieu situé à Barrou, bien que nous n’ayons rien trouvé d’approchant sur les cadastres de la commune.

-         Les pièces douteuses : il s’agit de 12 objets dont la retouche irrégulière ne présente pas réellement de différence d’état de surface avec le reste du support qui, lui, est manifestement authentique. C’est le cas de deux piqueteurs, incontestablement néolithiques, présentant une retouche abrupte directe irrégulière opposée à la zone piquetée. Dans le même ordre d’idée, cinq fragments de lames, dont deux sont issus du débitage “ livre de beurre ”, comportent une retouche courte et abrupte. Enfin, six éclats retouchés sont aussi douteux. Ils peuvent tout aussi bien s’intégrer dans les productions néolithiques que parmi les faux. Aucune de ces pièces douteuses n’est marquée.

 

Voilà tout l’embarras du préhistorien face à ce genre de découverte : il reste assez difficile de discriminer le vrai du faux. La technologie lithique est l’une des méthodes de la recherche en Préhistoire. Elle vise à reconstituer les opérations techniques qui mènent à la fabrication d’un outil, à son utilisation et finalement à son abandon. Mais cette méthode n’a pas la possibilité de dater directement les objets qu’elle étudie. Comme la typologie, elle peut tout au plus proposer une hypothèse de rapprochement à une “ culture ” de la Préhistoire datée par ailleurs.

 

Quel sens donner à cette trouvaille ? La série comporte uniquement des objets retouchés pratiquement tous fragmentaires, à l’exception de quelques “ racloirs ” robustes. Certains sont d’authentiques outils préhistoriques, d’autres des “ copies ” assez grossières, d’autres enfin ont été retouchés à partir de supports anciens. L’ensemble a été récolté en sommet de fossé, sur une très faible surface autour d’une souche d’arbre. Une dizaine de pièces, authentiques comme fausses, comportent des vestiges de marquage à l’encre blanche. L’une d’entre elles indique un probable nom de lieu situé sur la commune de Barrou.

Pour avoir vu un assez grand nombre de collections privées en Touraine du Sud et en Poitou, cette configuration résume assez bien certaines d’entre elles : de nombreux fragments d’outils préhistoriques récoltés sur les sites néolithiques de la région, quelques pièces “ régularisées ” de façon à les conformer à l’image d’un possible outil préhistorique et, enfin, quelques essais personnels de retouche et/ou de façonnage qui, à l’occasion d’une rencontre avec un autre collectionneur, donneront une importance toute relative au site où ils sont sensés avoir été découverts. Généralement, on compte aussi une poignée de pièces complètes et particulièrement habiles, souvent en silex de Dordogne, achetées lors de vacances dans le Sud-Ouest. Ces “ copies ”, après quelques années sur une étagère parmi d’authentiques outils préhistoriques aux teintes souvent très proches, passent parfois pour des originaux trouvés fortuitement dans un champ labouré de la région.

Loin de nous l’idée de discréditer toutes les collections privées régionales qui, pour certaines, sont de véritables sources d’informations puisque la provenance des objets est clairement repérée sur des cartes. Pour autant, et entre autres exemples, il y a quelques années l’un d’entre nous (JP) a déposé au Musée du Grand-Pressigny une centaine d’outils ramassée à la fin des années 1980 dans la région du Grand-Pressigny par un prospecteur du Sud Touraine. Sa collection, qu’il avait abandonné pour des raisons que nous ignorons dans une ruine proche de Descartes (Indre-et-Loire), montre une configuration très proche de ce que nous décrivons ici, à ceci près qu’aucun silex n’était marqué.

La série de l’Aunaie évoque un cas de figure assez similaire : quelqu’un s’est débarrassé d’une partie d’une collection anciennement constituée dans la région du Grand-Pressigny, et peut-être plus particulièrement sur la commune de Barrou, laissant ainsi dans la nature des “ copies ” d’outils préhistoriques.

Notre découverte de l’Aunaie vient malheureusement alimenter l’inventaire des sites préhistoriques pollués par des silex taillés modernes. Jacques Pelegrin (2002) signale le ramassage par des touristes belges, dans le lit de la Creuse entre Barrou et Chambon (fig. 1), d’une importante série de pièces bifaciales étonnement fraîches et, bien qu’aberrantes sur un plan typo-technologique, témoignant d’une assez bonne connaissance de la taille du silex de la part de son ou de ses auteurs. Ces “ copies ”, toutes entières et parfaitement neuves, avaient manifestement été déposées dans la Creuse pour y acquérir une certaine usure et une patine, accélérée sur l’un des bifaces par un badigeonnage à “ l’huile de vidange  (Pelegrin, ibid., p. 380). Elles iraient ensuite alimenter un circuit de vente ou d’échange de faux [4] imitant l’authentique, trompant ainsi bon nombre de collectionneurs.

 Le plus sévère exemple, qui illustre à la fois les dégâts d’un pillage incessant de sites néolithiques et les ravages de la taille moderne du silex, est la Forêt du Prélong à la Petite-Guerche (Vienne). Ici, sur plusieurs hectares, les ateliers néolithiques ont été retournés depuis des décennies par des collectionneurs de nucléus “ livre de beurre ” (Marquet, 1999, p. 167). Sur les bords des sondages sont abandonnés les produits que les ramasseurs jugent inintéressants : quelques nucléus plats, beaucoup de gros éclats et des blocs à peine testés. Lors d’un passage très récent sur ce secteur de la Forêt du Rond-du-Chêne, nous avons constaté que la presque totalité de ces pièces avaient été retaillées. Des milliers d’objets authentiques sont ici redébités, parfois assez adroitement, et les innombrables déchets ainsi produits sont maintenant intimement mélangés avec les éclats du Néolithique. L’humus et les mousses de sous-bois faisant leur œuvre, le tout est rapidement recouvert et pour longtemps hors de notre vue… jusqu’à une fouille dans quelques dizaines ou centaines d’années.

Ce secteur de la région du Grand-Pressigny est, sur un plan archéologique, sinistré et pourrait bien préfigurer, si l’on n’y prend garde, une situation plus générale : les sites néolithiques, dont l’organisation originelle était déjà bien altérée par les labours, sont percés de nombreux sondages clandestins et maintenant pollués par des objets taillés depuis ces quinze ou vingt dernières années.


Des perspectives ?

Sans être les premiers à déplorer le pillage incessant des sites de la région du Grand-Pressigny (Marquet, 1999 ; Millet-Richard, Marquet, 2000) et le commerce d’objets préhistoriques comme de “ copies ” (Pelegrin, 2002), il nous semble important d’insister sur les conséquences de la pollution archéologique en partie engendrée par ces comportements. Il n’échappe à personne (sauf peut-être à celui qui l’a fait) qu’un objet archéologique retaillé perd une grande partie, sinon la totalité, de son potentiel informatif. Il en va de même pour les sites préhistoriques pollués d’éclats modernes. C’est toute une partie de notre Patrimoine qui disparaît un peu plus chaque année.

Sur un plan légal, excepté peut-être la modification intentionnelle d’objets authentiques, la taille de silex n’est pas réglementée. Sa pratique et la gestion des déchets qui en résultent n’appartiennent donc qu’à la responsabilité de chacun.

L’intérêt grandissant du public pour la Préhistoire se traduit notamment par un besoin de possession d’objets, récoltés directement sur les sites préhistoriques, échangés entre collectionneurs ou achetés lors des nombreuses brocantes estivales et même dans certaines boutiques de la région. Mais, les “ belles pièces ” devenant d’autant plus rares qu’elles ont fait l’objet de ramassages déraisonnés, la fabrication de faux semble devenir le moyen, au Grand-Pressigny comme dans d’autres régions de France, de répondre tout de même à cette demande. Ainsi voit-on se multiplier les constats de pollutions des sites préhistoriques par des déchets de taille modernes.

Mais cet engouement du public, et notamment du très jeune public, pour la Préhistoire trouve aussi en écho un développement de l’offre des animations techniques où les démonstrations de taille du silex tiennent bonne place (Cohen, 1993). De telles activités, à l’origine mises en place dans un but de sensibilisation du public à la fragilité des témoignages du Passé, sont maintenant banalisées au point de réduire les grandes problématiques de la recherche archéologique au débitage de quelques lames régulières (Pelegrin, à paraître). En outre, et cela va à l’encontre même des objectifs visés, les démonstrations de taille du silex présentent le double désavantage de nécessiter un approvisionnement plus ou moins régulier en silex et de produire des nombreux déchets de taille, contribuant ainsi à l’appauvrissement des gîtes de matières premières et à la pollution archéologique.

Sans complètement remettre en cause l’intérêt d’une sensibilisation du public aux grandes problématiques de l’Archéologie par certaines animations techniques, il est important que les structures qui proposent ces animations aient, d’une part, pleinement conscience des problèmes qu’elles peuvent engendrer et, d’autre part, de la faiblesse du contenu pédagogique de démonstrations qui relèvent plus souvent du bricolage que d’une véritable occasion d’un questionnement sur l’Homme et son Histoire (Pelegrin, à paraître).

Mais il ne faut pas se cacher derrière l’espoir d’une prise de conscience collective et rapide : tant qu’il restera plus lucratif (et moins difficile) pour certains de piller et de polluer les sites préhistoriques que de les étudier et de les publier, et en l’absence d’une législation adaptée, le phénomène prendra l’ampleur que l’on connaît déjà dans d’autres régions de France et du Monde.

 

Références bibliographiques :
 
COHEN C. (1993) – Préhistoire et archéologie en milieu scolaire. Bulletin des Amis du Musée du Grand-Pressigny, n°44, p. 13-16.

 MARQUET J.-C. (dir.) (1983) – Projet paléoécologie et écologie du bassin de la Claise tourangelle. Les Cahiers de la Claise, n°1, Actes de la table ronde, Le Grand-Pressigny, Pâques 1983, 203 p.

MARQUET J.-C. (1993) – L’Archéolab à Abilly (Indre-et-Loire). Un musée de site pour servir à la protection du Patrimoine préhistorique du Sud-Lochois. Bulletin des Amis du Musée du Grand-Pressigny, n°44, p. 11-12.

 MARQUET J.-C. (1999) – La Préhistoire en Touraine. C.L.D. éditions, 318 p.

 MARQUET J.C. et MILLET-RICHARD L.-A. (2000) – Les sites préhistoriques de la Touraine du Sud. Hors série n°2 des Cahiers de la Claise, éditions CLD, 83 p.

 PELEGRIN J. (2002) – A propos d’une série de faux découverts près du Grand-Pressigny. Bulletin de la Société Préhistorique Française, tome 99, n°2, p. 380.

 PELEGRIN J. (à paraître) – Animations archéologiques et démonstrations. Intérêt éducatif : limiteset dangers. Actes du Colloque Déontologie en Préhistoire, Les Eyzies, 15-16 octobre 1998.



1] : Enseignant, responsable pédagogique du Centre de Classe du Patrimoine du Grand-Pressigny (Association EPSL).

[2] : Ingénieur d'étude
Ministère de la Culture et de la Communication
DRAC de Poitou-Charentes
Service Régional de l'Archéologie
Docteur en Préhistoire et Ethnologie, Université de Paris-X-Nanterre, UMR 7055 CNRS.

[3] : Projet Collectif de Recherche “ Grand-Pressigny ”, sous la responsabilité d’Alain VILLES.

[4] : Nous avons dernièrement aperçu dans la vitrine d’un antiquaire de la ville d’Angers un très “ beau ” (trop beau ?) biface en silex du Grand-Pressigny, accompagné de quelques nucléus “ livre de beurre ”.

Publié dans Un peu de déontologie

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Y
Pour votre interrogation, cette antiquaire de la ville d’Angers est maintenant à la retraite. Il possédait déjà ce stock lithique, il y a au moins 40 ans. Donc certainement pas des faux... Je crois même que c'était des reste de la collection Bessonneau collecté fin 19eme début 20eme. Vous avez sans doute raté une opportunité...
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B
On trouve facilement sur internet de nombreuses annonces provenant d'un "galerie lithique" qui semble avoir pignon sur rue 3 rue des fonderies a Abilly proposant des objets en silex authentiques
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M
Lors de ma visite au centre situé au collège, j'ai pu entendre en effet Peggy qui insistait auprès des élèves sur la notion de pollution archéologique comme effet pervers de l'initiation. Je comprends mieux à présent.
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